Souha Bechara :

« Nous allons reconstruire nos villages au Liban »

lundi 18 septembre 2006


Souha Bechara est une grande figure de la résistance libanaise. A 20 ans, en 1988, lors de la première occupation du Liban par Israël, elle a tenté d’abattre le général Antoine Lahad, chef de la milice qui contrôlait le Sud Liban avec Israël.

Elle a été emprisonnée sans jugement durant dix ans (1989-1998) dans la terrible prison de Khiam, au Sud Liban. Depuis sa libération, elle milite pour la libération des 10000 prisonniers palestiniens et libanais détenus en Israël.

 

Israël a commencé la guerre le 12 juillet en réaction à l’enlèvement de deux soldats israéliens. Quelle est votre réaction, vous qui avez été prise en otage durant 10 ans par Israël ?

Je voudrais d’abord souligner qu’une décision de la Cour Suprême israélienne prise dans les années 90 a légitimé, légalisé, l’enlèvement et la détention de n’importe quel Libanais qui pourrait fournir des informations sur le pilote israélien Ron Arad, disparu au Liban dans les années 1980. Et ces enlèvements israéliens de civils libanais ont eu lieu sur le territoire libanais, à de nombreuses reprises. Encore en juin de cette année. Est-ce acceptable ? Et ce que des Libanais ont fait le 12 juillet en réaction, ce n’est pas enlever des civils à Jérusalem, ni bombarder Tel-Aviv. C’est capturer deux soldats israéliens sur le champ de bataille pour pouvoir négocier la libération des prisonniers libanais et palestiniens. Si j’avais été prisonnière palestinienne en Israël, comme 10 000 le sont aujourd’hui, j’aurais été en joie le 12 juillet. Car l’échange de prisonniers est la seule issue qui leur est offerte pour être un jour libérés.

 

Certains disent qu’Israël a quand même le droit de faire quelque chose face au terrorisme du Hezbollah...

Je leur dirai ceci : supposons qu’un criminel soit dans un bâtiment, va-t-on faire exploser le bâtiment pour mettre ce criminel hors d’état de nuire ? Croit-on aux bombes intelligentes qui distingueraient sur base génétique qui est du Hezbollah et qui ne l’est pas ? Au nom de quel droit 22000 immeubles ont-ils été détruits et des milliers de vies gâchées ? Pourquoi un des symboles du Liban, l’aéroport international de Beyrouth, a-t-il été bombardé ? Est-ce une cache secrète d’armes du Hezbollah ? La raison invoquée pour la guerre, « désarmer le Hezbollah », donne-t-elle le droit de détruire toute une économie mais aussi l’environnement ? Jusqu’à la pollution des plages libanaises mais aussi grecques et chypriotes (par la marée noire provoquée par le bombardement israélien d’un réservoir pétrolier libanais, ndlr) ? Mettons de côté le jugement qu’on peut porter sur le Hezbollah.

Il y a quelque chose qui dépasse le Hezbollah.

Nous avons déjà vécu l’exode au Liban. En 1978, en 1982. A ce moment-là, Israël est venu au Liban pour désarmer les Palestiniens. Les Palestiniens ont été alors désarmés, les hommes armés ont quitté le Liban et il y a eu le massacre de Sabra et Chatila (deux camps de réfugiés palestiniens dont plus de 1000 habitants ont été tués de sang-froid par des milices pro israéliennes sous la protection du général Sharon, ndlr). Et Israël a continué à intervenir au Liban pendant 18 ans invoquant le problème palestinien. Maintenant Israël sort autre chose, ce ne sont plus les Palestiniens, c’est le Hezbollah.

 

Pourquoi cet acharnement d’Israël face au Liban ?

Israël veut frapper tous ceux qui ont osé et osent lui dire non. D’abord le Hezbollah, mais aussi tous les partis libanais, comme le Parti Communiste libanais, comme les Nasséristes, comme le Mouvement du Peuple, qui ont pris les armes contre l’occupation israélienne. Israël n’a jamais accepté sa défaite de 2000, quand il a dû se retirer du Sud Liban. Ensuite, le Liban par sa composition multiconfessionnelle, est à l’opposé d’Israël basé sur une seule confession, une seule idéologie fondatrice. En Israël, quelqu’un de confession juive qui émigre de Belgique ou des États-unis a plus de droits que le million d’Arabes qui y vivent aujourd’hui. Enfin, il y a un enjeu irano américain. Par cette guerre, comme l’a dit Condoleeza Rice, il s’agissait de faire du Liban la porte du nouveau Moyen-Orient américain. Et d’écraser ceux qui cherchent d’autres alliances dans la région. Là, les intérêts américains et israéliens se sont croisés.

 

Que pensez-vous de la résolution de l’ONU demandant la « cessation des hostilités » et l’envoi d’une force internationale au Sud Liban ?

Il y a un fossé entre les « regrets » exprimés par la communauté internationale après le massacre de Cana, les « regrets »lors de l’attaque israélienne qui a coûté la vie à 4 soldats de l’ONU (FINUL) au Liban et « l’exigence » de la démilitarisation du Hezbollah. Ensuite, vous devez savoir que les Israéliens ont cherché ces derniers jours à brûler des zones entières du Sud Liban, à raser des villages entiers. Ce n’est pas un hasard s’ils sont venus avec des bulldozers.

Mais avec la résolution finale, les Israéliens n’iront pas très loin et n’ont obtenu aucun des objectifs de leur guerre. Le Hezbollah n’est pas et ne sera pas démilitarisé. Les deux soldats israéliens ne seront pas rendus sans un échange avec des prisonniers libanais. Quant à la zone tampon au Sud Liban avec des troupes de l’ONU et l’armée libanaise, on verra dans la pratique.

Mais nous, les Libanais, nous reviendrons et nous reconstruirons nos villages. Avec cette résolution, la communauté internationale a juste offert une porte de sortie aux Israéliens pour qu’ils sauvent la face. Et le dirigeant du Hezbollah Nasrallah a pris une décision historique : il a accepté cette résolution avec toutes les réserves, dans le but de réduire les conséquences dramatiques de la crise humanitaire. Or le Hezbollah et la résistance libanaise auraient pu continuer sur le terrain militaire. Mais aujourd’hui au Liban, leur force n’est pas d’abord militaire, mais populaire. Certainement après cette guerre.

David Pestieau 23-08-2006 - ptb.be

RETOUR AU SOMMAIRE