Le développement de la conscience politique des classes ouvrières à travers le monde : une nécessité historique
Par David North
1.
L'année 2008 connaîtra un approfondissement important de la crise politique et
économique du système capitaliste mondial. Les perturbations qui affectent les
marchés financiers mondiaux sont une manifestation de beaucoup plus qu'un
ralentissement conjoncturel, mais plutôt d'un dérèglement profond du système qui
est déjà à l'œuvre pour déstabiliser la politique internationale. Comme
toujours, ce sont les liens les plus faibles de la chaîne de la géopolitique
impérialiste qui se sont rompus en premier. L'assassinat de Benazir Bhutto au
Pakistan, les éruptions de la guerre civile au Congo et au Kenya et la
réapparition des tensions dans les Balkans sur la question du Kosovo sont tous
indicatifs de l'état de plus en plus explosif de la politique mondiale.
2.
Seize années après la dissolution de l'Union soviétique, un événement qui
annonçait prétendument le triomphe définitif et irréversible du capitalisme
mondial, l'économie tremble sur ses bases. L'éclatement de la bulle immobilière
aux Etats-Unis, qui a été nourrie par les investissements spéculatifs hors
contrôle dans l'hypothèque à risque, a signifié des pertes mondiales se
chiffrant dans les centaines de milliards de dollars pour les banques et les
institutions financières internationales. Une série d'instruments financiers
dénommés par des sigles cryptiques - les SIV (structured investment vehicles ou
véhicules d'investissement structurés), les CDO (collateralized debt
obligations, obligation adossée à des actifs) et le reste - ont été créés pour «
rendre plus sûres » les hypothèques à risque, pour cacher leurs aspects les plus
inquiétants et pour répartir le risque dans un grand nombre d'institutions. Le
résultat est une crise financière internationale qui, dans les mots d'un
analyste, a remis en cause la viabilité et la légitimité du système du
capitalisme anglo-saxon. Le Financial Times a écrit que « l'avenir de
l'innovation financière du vingt-et-unième siècle s'est depuis évaporé. Les
événements de l'an dernier ont montré avec une lumière crue que l'étalement du
risque n'empêche pas toujours les chocs financiers, mais peut plutôt contribuer
à la propagation de la contagion… »
3.
Le caractère extrêmement sérieux de la situation économique actuelle n'est pas
un objet de débat au sein de la communauté des analystes bourgeois bien
informés. Les plus perspicaces et honnêtes parmi eux reconnaissent que les
données sur l'ampleur des pertes financières et leur impact sur les secteurs
plus larges de l'économie américaine et mondiale sont encore insuffisantes pour
faire des prédictions solides sur les conséquences d'une crise en plein
développement. Le resserrement du crédit qui est apparu au début de l'été 2007
demeure la principale menace au bon fonctionnement de l'économie capitaliste
mondiale. Se rendant compte que des milliards de dollars en actifs doivent être
considérés comme des pertes irrécupérables, la confiance mutuelle qu'ont les
institutions financières dans la solvabilité de leurs consœurs a reçu un dur
coup. De plus, il est généralement admis que le même type de pratiques dans les
prêts qui ont résulté en une bulle immobilière a eu lieu dans d'autres secteurs
de l'économie. On craint de plus en plus qu'une récession américaine mette à nu
la témérité avec laquelle les grandes sociétés ont prêté de l'argent. Mais dans
cette situation tendue, les espoirs initiaux que l'impact de l'effondrement du
prix des maisons sur l'économie américaine dans son ensemble soit rapidement
contenu se sont rapidement dissipés. « Les Etats-Unis entrent dans l'année 2008,
écrit le Financial Times, avec un plus grand danger de récession qu'à tous
moments depuis l'effondrement de la bulle de l'internet en 2000-01. L'économie
la plus importante au monde lutte pour maintenir sa croissance dans un contexte
de resserrement du crédit, du déclin du prix des maisons et des prix élevés du
pétrole. » (2 janvier 2008)
4.
Une autre importante étude économique conclut : « Sur la question du
resserrement du crédit, il semble y avoir un accord général sur le fait que,
tout compte fait, la crise actuelle est déjà plus sérieuse que toutes les crises
précédentes de l'histoire moderne. Les principales banques et leurs institutions
financières révèlent encore, presque tous les jours, d'immenses pertes,
conséquence de prêts imprudents. Le prix des maisons tombe. Et il y a le
sentiment général que la situation continuera à se dégrader, particulièrement
alors que plusieurs de ceux qui ont contracté des hypothèques à risque [ainsi
que ceux qui ont contracté des (mal nommés) prêts « intérêts seulement » ou des
prêts avec des taux d'intérêts à l'entrée « alléchants »] vont subir une
pression de plus en plus importante alors que les taux initiaux qu'ils paient
jusqu'à maintenant vont augmenter au cours de la prochaine année. » [Strategic
Analysis, November 2007, Levy Institute of Bard College, p. 9]
5.
Une crise de l'économie américaine a des implications mondiales directes et
immédiates. Le Fonds monétaire international (FMI) a avisé que « le risque de la
demande intérieure en Europe de l'Ouest et au Japon est maintenant un indicateur
à la baisse » en conséquence de la « contagion » provenant des Etats-Unis.
(World Economic Outlook, October 2007, p. 11) Aussi, le FMI anticipe que « la
perturbation prolongée des marchés financiers mondiaux pourrait se répercuter
sur les flots financiers vers les marchés émergents et déclencher des problèmes
dans les marchés intérieurs…
6.
Aux Etats-Unis, la crise de l'industrie du logement est avant tout un désastre
social pour des millions de familles ouvrières et des classes moyennes. Il est
attendu qu'un million de familles perdent leur maison à cause des reprises par
les prêteurs hypothécaires dans les deux prochaines années. Des millions
d'autres qui ne sont pas immédiatement menacés de reprise sont sérieusement
affectés par la crise. Dans plusieurs parties du pays, on s'attend à ce que le
prix des maisons perde 25 pour cent ou plus. Un déclin de cette ampleur ne peut
qu'avoir un impact dévastateur sur les finances personnelles des familles de la
classe ouvrière. Il est bien connu que les prêts garantis par la valeur de la
maison ont joué un rôle crucial en tant que source supplémentaire d'argent aux
salaires des familles ouvrières et des classes moyennes. Ces prêts ont été
contractés pour financer l'éducation des enfants, payer les frais médicaux ou
pour rencontrer d'autres besoins pressants. Cette source de revenus additionnels
ne sera plus disponible pour des millions de gens.
7.
Ainsi, l'effondrement du prix des maisons prive les larges masses d'Américains
qui travaillent d'un des principaux moyens par lequel ils avaient tenté de
contrecarrer les contraintes financières de trente-cinq années de stagnation des
salaires. Le revenu du travailleur mâle dans la trentaine est aujourd'hui 12
pour cent inférieur à celui du travailleur qui avait le même âge en 1978. Comme
l'ancien secrétaire au Travail, Robert Reich, l'avait souligné, les « mécanismes
de survie » qui ont été utilisés pour faire face à la déflation des salaires a
été l'entrée massive des femmes sur le marché du travail (de 38 pour cent en
1970 à 70 pour cent aujourd'hui) et l'addition de deux semaines de travail par
année. Les Américains travaillent 350 heures de plus chaque année que l'Européen
moyen. Au début du 21e siècle, alors que les travailleurs ont atteint la limite
physique d'augmenter leur salaire en travaillant plus, ils ont commencé à
dépendre de plus en plus sur le crédit, utilisant leur maison comme garantie.
Alors que disparaît le moyen de combler l'écart toujours grandissant entre le
revenu et les besoins, des millions de personnes sont confrontées au spectre de
tomber dans un abîme financier. Déjà, durant la première moitié de 2007, les
faillites personnelles aux Etats-Unis ont augmenté de 48 pour cent. On peut
mesurer combien précaire est la situation financière des travailleurs par le
fait que 27 millions d'entre eux devront emprunter simplement pour payer les
frais de chauffage cet hiver. Mais les cartes de crédits deviennent tout aussi
problématiques que les prêts garantis par la maison. Alors que tous les moyens
individuels et traditionnels de faire face aux réalités économiques ayant
prévalu disparaissent, la classe ouvrière est forcée de se tourner vers le seul
moyen qu'elle a pour se défendre, c'est-à-dire la lutte politique et sociale
collective et consciente contre le système capitaliste.
8.
Le caractère et les conséquences révolutionnaires de la lutte de la classe
ouvrière sont déterminés avant tout par la nature objective de la crise du
système capitaliste mondial. Comme dit plus avant, l'expansion de la crise a un
caractère structurel. Pour la troisième fois en dix ans, l'économie mondiale a
été ébranlée par l'effondrement d'une bulle qui a été créée par une spéculation
financière massive. La crise financière de l'Asie de l'Est, qui a commencé lors
de l'été de 1997, a engouffré les économies de la Thaïlande, de la Malaisie, de
l'Indonésie, de la Corée du Sud, des Philippines et de Singapour et a failli
provoquer un effondrement financier international. Il n'a pu être empêché que
par d'importantes contre-mesures du FMI, qui a financé des sauvetages nationaux
au coût de milliards de dollars pour empêcher une série de défauts de paiement
nationaux aux conséquences cataclysmiques. La vulnérabilité des marchés
américains des capitaux à la crise asiatique a été montrée par les grandes
pertes sur Wall Street. En un seul jour, le 27 octobre 1997, le Dow Jones a
perdu 554 points ou 7,2 pour cent en réponse à la tourmente sur les marchés de
change en Asie. Les efforts subséquents pour stabiliser Wall Street,
particulièrement les faibles taux d'intérêt, ont créé les conditions pour le
développement de la bulle de l'investissement qui a commencé à se développer au
milieu des années 1990. En 2000, le caractère insoutenable de la folie des « .com
», caractérisé par « l'exubérance irrationnelle » des marchés est devenu évident
pour tous. La bulle a éclaté et le crash qui a suivi a entraîné la première
récession en dix ans. Encore une fois, la réponse de la Réserve fédérale, la
banque centrale américaine, a été de diminuer les taux d'intérêts à leur plus
bas niveau depuis des décennies et d'inonder les marchés de liquidités. Le
caractère hautement spéculatif du marché immobilier était largement reconnu,
mais ceux qui font la politique financière ont cru que sa croissance
continuelle, peu importe combien douteuse elle était, était nécessaire pour
empêcher la résurgence de la récession. Comme l'a signalé l'Institut économique
Levy, « La croissance des dépenses personnelles, sur laquelle l'économie
américaine a principalement dépendu depuis 2001, a été causée directement et
indirectement par le boum hystérique du marché immobilier. » [Strategic Analysis,
November 2007, p. 7]
9.
La tendance persistante à la création de bulles spéculatives émerge de profondes
contradictions dans le développement du système capitaliste mondial,
contradictions qui sont particulièrement liées au déclin historique de la
position mondiale du capitalisme américain. La baisse à long terme de la
rentabilité de l'industrie aux Etats-Unis pousse les institutions financières
américaines à rechercher d'autres sources de hauts retours sur l'investissement.
Le mode d'existence de l'élite dirigeante américaine a été caractérisé au cours
des 30 dernières années par la séparation toujours plus grande entre le
processus d'accumulation de la richesse et les processus de production
industrielle. Ces derniers n'intéressent l'élite dirigeante que dans la mesure
où la disponibilité de main-d’œuvre bon marché permet un taux de profit assez
important pour satisfaire sa demande extrêmement élevée d'enrichissement
personnel.
10.
Le caractère parasitaire de l'élite dirigeante américaine est inextricablement
lié à l'extrême intensification du militarisme. En dernière analyse, les guerres
en Irak et en Afghanistan - tout en exploitant comme prétexte les événements du
11-Septembre - sont nées de la poussée de la classe dirigeante américaine pour
maintenir la position hégémonique mondiale des Etats-Unis. La doctrine de la
guerre préventive, dévoilée par l'administration Bush en 2002, demeure en place.
Afin de surmonter les défis géopolitiques et économiques posés par des rivaux
actuels ou en émergence, l'utilisation de la puissance militaire est
privilégiée. Les défaites subies en Irak, loin de calmer les pulsions agressives
de l'impérialisme américain, ont créé de nouveaux impératifs pour le déploiement
de la puissance américaine. Les menaces contre l'Iran se sont intensifiées en
réaction à la fragilité de la position des Etats-Unis en Irak.
11.
Pour ce qui est de la guerre en Irak, la légère diminution de violence ne
signifie pas que l'escalade militaire de Bush a réussi, et encore moins que la
fin de la guerre approche. Dans une certaine mesure, le déclin temporaire des
violences reflète jusqu'à quel point le « nettoyage ethnique » des quartiers -
le produit de l'invasion américaine - a été mené. Il y a aussi les conséquences
de l'immense massacre qui a lieu en Irak. Mais surtout l'invasion américaine a
eu pour résulter d'intensifier énormément les contradictions sociales et
politiques dans le pays et la région. L'intensification du conflit entre la
Turquie et les Kurdes irakiens menace à tout moment de se transformer en guerre
totale. Il n'existe de toute façon - à moins d'un puissant mouvement anti-guerre
de la classe ouvrière américaine et internationale - aucune possibilité de
retrait des troupes américaines dans un avenir proche. Comme l'a fait remarquer
l'écrivain Nir Rosen dans un article paru dans le journal Current History : «
L'escalade militaire n'est pas qu'une façon de refiler le problème de l'Irak à
la prochaine administration, car en réalité les soldats américains ne quitteront
jamais l'Irak. Les importantes bases de la province d'Anbar, telles que al-Assad
Et Taqadum, ont été construites pour " durer longtemps " selon ce que m'a dit un
officier de la marine. Situées au milieu du désert, pratiquement imprenables et
seulement à l'occasion les cibles d'attaques au mortier, ces bases vont demeurer
pour des décennies. » [décembre 2007, p.413]
12.
Au cours des cinq années qui ont suivi l'invasion de l'Irak, la position
stratégique des Etats-Unis s'est détériorée. Surtout en Asie centrale, dont la
domination est considérée comme essentielle par Washington pour l'hégémonie
mondiale, les Etats-Unis font face à un environnement plus difficile. Le retour
de l'influence de la Russie dans la région et le développement économique
continu de la Chine et de l'Inde sont perçus comme des obstacles potentiels pour
les ambitions impériales des Etats-Unis.
13.
Pour les stratèges de l'impérialisme américain, la question de la Chine se fait
encore plus menaçante. La croissance constante de la puissance économique
chinoise - qui prendra nécessairement une forme de plus en plus militaire - est
perçue largement comme étant incompatible avec les intérêts mondiaux des
Etats-Unis. La récente création du Centre de commandement militaire américain
pour l'Afrique, AFRICOM, est une réaction directe à la croissance constante de
l'influence de la Chine sur ce continent. Mais le conflit entre la Chine et les
Etats-Unis pour l'influence en Asie orientale est marqué par des tensions plus
grandes et plus immédiates encore. Comme l'a affirmé Christopher Layne, expert
en politique étrangère : « Si les Etats-Unis tentent de maintenir leur
domination actuelle en Asie orientale, un conflit sino-américain est
pratiquement inévitable, car dans la grande stratégie américaine se trouve la
logique de la violence préventive comme instrument pour maintenir la suprématie
des Etats-Unis. Pour une puissance hégémonique en déclin, " étrangler le bébé
dans le berceau ", en attaquant de façon préventive un nouvel adversaire -
c'est-à-dire lorsque la puissance hégémonique a encore l'avantage militaire - a
toujours constitué une option stratégique attrayante. » [Current History,
janvier 2008, pp. 16-17]
14.
La poussée militariste émerge inexorablement des intérêts et ambitions
géopolitiques mondiaux de la bourgeoisie américaine. C'est aussi un produit de
l'état de plus en plus nocif des relations sociales aux Etats-Unis. La
croissance ahurissante des inégalités économiques au cours des trois dernières
décennies a entraîné l'accumulation d'extrêmes tensions sociales sous la surface
de la politique officielle et à l'extérieur du discours public cautionné par les
médias. Le militarisme impérialiste est l'un des plus importants instruments
politiques employés par les élites dirigeantes pour empêcher les tensions
sociales de prendre la forme conflit de classe au pays.
15.
De récentes études faites par Edward N. Wolff du Levy Economics Institute de
Bard College documentent les niveaux extrêmes d'inégalité sociale aux
Etats-Unis. Les statistiques ayant trait à la répartition de la richesse et des
revenus révèlent le degré extraordinaire de stratification sociale. Le 1,0 pour
cent supérieur de la population détient 34,3 pour cent de la valeur nette des
ménages aux Etats-Unis. Les 4,0 pour cent suivants possèdent 24,6 pour cent et
les 5,0 pour cent suivants, 12,3 pour cent. En tout, les 10,0 pour cent les plus
riches de la population détiennent environ 71 pour cent de la richesse nationale
des ménages. Les 10 pour cent suivants n'ont que 13,4 pour cent de la richesse.
Les 80 pour cent inférieurs des ménages américains ne possèdent que 15,3 pour
cent de la richesse. Ceux qui font partie du troisième quintile ne détiennent
que 3,8 pour cent de la richesse. Les derniers 40 pour cent des ménages ne
possèdent que 0,2 pour cent de la richesse!
16.
Si l'on considère la richesse en excluant la propriété d'une maison, la
stratification est encore plus marquée. Le 1,0 pour cent supérieur des ménages
détient 42,2 pour cent de la richesse non résidentielle. Les 10 pour cent
supérieurs possèdent un peu moins de 80 pour cent de la richesse non
résidentielle. Les 80 pour cent inférieurs possèdent 7,5 pour cent de la
richesse non résidentielle. Les 40 pour cent les plus pauvres rapportent une
richesse non résidentielle négative de -1,1 pour cent.
17.
En considérant le revenu, le 1,0 pour cent supérieur reçoit 20 pour cent du
total. Les 10 pour cent supérieurs obtiennent 45 pour cent du revenu total. Les
80 pour cent inférieurs reçoivent 41,4 pour cent. Les 40 pour cent les plus
pauvres n'obtiennent que 10,1 pour cent du revenu.
18.
Une autre série de statistiques extrêmement intéressante concerne les conditions
financières des ménages situés dans les trois quintiles du milieu (80-60, 60-40,
40-20). Leurs maisons comptent pour 66.1 pour cent de leur richesse personnelle.
Leurs liquidités comptent pour seulement 8,5 pour cent de leur richesse. Les
outils d'investissements (actions, placements, fiducies, etc.) comptent pour
seulement 4,2 pour cent. Ces chiffres montrent très clairement jusqu'à quel
point la position financière des trois quintiles du milieu dépend de la valeur
de la maison et de la condition générale du marché immobilier.
19.
Ce fait rend encore plus significatif la hausse marquée de l'endettement de ces
sections de la classe ouvrière et de la classe moyenne. En 1983, le ratio entre
la dette et les capitaux propres et la capitalisation boursière était de 37,4
pour cent. En 2004, il a grimpé à 61,6 pour cent. En 1983, le ratio entre la
dette et les revenus était de 66,9 pour cent. En 2004, il a grimpé à 141,2 pour
cent ! En 1983, la dette hypothécaire sur les maisons de ces trois quintiles
comptait pour 28,8 pour cent de la valeur immobilière. En 2004, la dette
comptait pour 47,6 pour cent.
20.
Une dernière série de statistiques : En 2004, selon Wolff, « les ménages faisant
partie du 1 pour cent les plus riches détiennent la moitié de toutes les actions
en circulation, des titres de placement et des capitaux d'entreprises. Les 10
pour cent des familles les plus riches, prises comme un groupe, comptent pour
environ 80 à 85 pour cent des actions, des obligations, des fiducies, des
capitaux d'entreprises et de l'immobilier non résidentiel. De plus, malgré le
fait que 49 pour cent des ménages détiennent des actions soit directement ou
indirectement par des fonds mutuels, des fiducies ou différents fonds de
pension, les 10 pour cent des ménages les plus riches comptent pour 79 pour cent
de la valeur totale de ces actions, seulement un peu moins que les 85 pour cent
qu'ils détiennent directement par des actions et des fonds mutuels. » [«
Tendance émergente dans la richesse des ménages aux États-Unis : l'endettement
en hausse et la compression de la classe moyenne, » Juin 2007, p.25]
21.
Quelles sont les implications politiques de ces statistiques ? La stratification
extrême de la société américaine dans les trois dernières décennies approche
rapidement le point de conflit de classe ouvert et violent. Le sclérotique
système politique américain, administré par deux partis politiques qui servent
d'instruments pour la défense des intérêts de la ploutocratie dirigeante, est
organiquement incapable de répondre de manière crédible, sans parler d'une
manière progressiste, aux demandes des masses pour du changement social
significatif. En dernière analyse, les demandes pour le changement social, même
si elles prennent une forme réformiste, entrent en conflit avec la détermination
inébranlable de l'élite dirigeante pour la défense de ses richesses et de ses
privilèges sociaux.
22.
Les élections volées de 2000 - comme le PES et le World Socialist Web Site
l'avaient souligné à ce moment - représentaient une étape historique dans la
dégénérescence de la démocratie américaine. La décision du Parti démocrate
d'accepter le vol des élections démontre qu'aucune section significative de la
classe capitaliste américaine ne ressent la moindre obligation de défendre les
institutions traditionnelles de la démocratie bourgeoise. Tout ce qui est arrivé
depuis l'élection a validé ce jugement. Les violations systématiques des
principes constitutionnels et démocratiques réalisés sous le couvert de la «
guerre au terrorisme » de l'après 11 septembre - dans laquelle les démocrates et
les républicains sont complices - donnent un aperçu des préparatifs encore plus
éhontés de formes dictatoriales de gouvernement de classe. Ces violations ne
sont pas des aberrations. Elles émergent d'une polarisation sociale qui
s'accentue et qui est ultimement incompatible avec le maintien de formes
traditionnelles de la démocratie américaine. Le fait que la procédure désignée
par l'expression « enhanced interrogation » (« interrogatoire étendu ») -
c.-à-d. la torture - est une traduction anglaise de la procédure que la Gestapo
d'Hitler appelait « verschärfte Verhemung » doit être vu comme un avertissement.
23.
Peu importe qui sera ultimement choisi par les partis bourgeois et élu
président, la logique des développements sociaux et politiques mène
inéluctablement vers une intensification des conflits de classes. De plus, la
détérioration prolongée de la position sociale et du niveau de vie de la classe
ouvrière, sa part toujours en diminution de la richesse de la société et
l'intensification sans relâche de son exploitation par ceux qui contrôlent les
moyens de production ont jeté les bases pour un changement profond dans
l'orientation politique et les allégeances de la classe ouvrière. Ceux qui ne
sont pas capables de voir ou qui refusent de voir que les profonds changements
dans la vie économique pendant les trente dernières années ont laissé des
marques profondes dans la conscience sociale de la classe ouvrière américaine
montrent non seulement leur scepticisme démoralisé, mais aussi leur ignorance de
l'histoire. En fait, l'absence de conflit social et de conflit de classe ouvert
pendant le dernier quart de siècle est en contradiction avec la tendance
générale de l'histoire américaine. Mais, cette période prolongée de passivité
sociale, ancrée dans une interaction complexe et exceptionnelle de processus
économiques et politiques nationaux et, d'abord et avant tout, internationaux,
est en train de prendre fin. La tâche centrale du Parti de l'égalité socialiste
en 2008 est de préparer tous les aspects de son travail - théorique, politique
et organisationnel - dans le but de faire face aux défis posés par l'éruption de
conflit de classe.
24.
Un élément critique de cette préparation passe par l'étude des leçons des
périodes antérieures de bouleversements révolutionnaires. Cette année marque le
quarantième anniversaire de l'année 1968, une année qui fut caractérisée par des
luttes explosives internationalement et aux Etats-Unis. Les évènements de cette
année-là déclenchèrent une longue période de lutte révolutionnaire
internationale et de conflit de classe intense aux Etats-Unis. De manière
significative, les éruptions politiques de 1968 anticipaient et se sont ensuite
développées parallèlement à une économie mondiale en proie à des tensions
grandissantes. La dévaluation de la livre britannique en novembre 1967, suivie
en mars 1968 par l'instabilité dans le marché européen de l'or, laissait
envisager l'écroulement du système de Bretton Woods de 1971 sur lequel étaient
basés la reconstruction du capitalisme international après la Deuxième Guerre
mondiale et le rôle dominant des Etats-Unis.
25.
Revoyons brièvement les évènements principaux de cette année-là : à la fin
janvier, le gouvernement du Vietnam Nord lança l'historique « offensive du Têt
», qui discrédita complètement les affirmations de l'administration Johnson et
du Pentagone selon lesquelles les Etats-Unis étaient en train de gagner la
guerre. Le Secrétaire à la Défense Robert McNamara démissionna et une féroce
lutte interne émergea dans l'administration sur la politique concernant le
Vietnam. Aussi en janvier, le stalinien notoire Antonin Novotny fut remplacé en
tant que premier ministre de la Tchécoslovaquie par Alexander Dubcek,
déclenchant ce qui allait devenir le « Printemps de Prague. » En février, Lyndon
Johnson remporta tout juste une victoire sur le sénateur Eugene McCarthy lors
des primaires du New Hampshire, un résultat qui allait être interprété comme une
défaite politique majeure pour le président sortant. Deux semaines plus tard, le
Sénateur Robert Kennedy annonça qu'il se présentera contre Johnson pour la
nomination. Deux semaines plus tard, Johnson annonça sa volonté d'entrer dans
des pourparlers de paix avec le Vietnam-Nord et sa décision de ne pas chercher à
obtenir de nouveau la nomination. Le 4 avril, Martin Luther King était assassiné
à Memphis et des émeutes éclatèrent partout aux Etats-Unis. En mai, la
répression violente de manifestations étudiantes à l'Université de la Sorbonne à
Paris mena à une grève générale de la classe ouvrière française qui paralysa le
gouvernement de De Gaulle et amena le pays au bord de la révolution sociale. Le
5 juin, le Sénateur Robert Kennedy était assassiné à Los Angeles. En août, la
convention démocrate à Chicago fut assiégée par des manifestations anti-guerre,
que le maire Richard Daley tenta de réprimer violemment à l'aide de la police.
Pendant la même semaine, les tanks soviétiques entrèrent en Tchécoslovaquie et
ramenèrent le contrôle stalinien. En novembre, Richard Nixon fut élu président.
26.
Les événements de 1968 n'ont fait que marquer le commencement d'un soulèvement
massif de la lutte de classe à l'échelle du globe qui persista près d'une
décennie. Sur chaque continent la lutte de masse était la règle et non
l'exception. L'aspect le plus significatif de cette période était le
développement parallèle de mouvements révolutionnaires dans les pays
capitalistes moins développés et les pays capitalistes développés. Des
conditions prérévolutionnaires et révolutionnaires apparurent en Bolivie, au
Chili, en Argentine, en Italie, en France, en Grande-Bretagne, au Portugal, en
Grèce et en Espagne. Aux États-Unis, la force dominante de la lutte sociale
durant cette période n'était pas le mouvement étudiant, mais la classe ouvrière.
Avec l'exception des années 1973 et 1976, le nombre de travailleurs impliqué
dans des grèves majeures, n'est jamais descendu en bas du million entre 1967 et
1979. En 1970 et 1971, le nombre de travailleurs impliqués dans les grèves était
de 2,4 millions et 2,5 millions respectivement. En Grande-Bretagne, la grève des
mineurs du charbon de 1973-74 força la chute du gouvernement conservateur
d'Edward Heath
27.
A qui doit-on attribuer la survie du système capitaliste durant cette période de
luttes sociales tumultueuses ? Sur le front politique, la principale
raison de la survie du capitalisme se trouve dans la politique
contre-révolutionnaire du stalinisme, des gouvernements et partis
sociaux-démocrates, et des bureaucraties syndicales, qui ont fait
tout en leur pouvoir pour saboter la lutte révolutionnaire de la classe
ouvrière. De plus, les partis et les organisations pablistes, qui avaient
dans les années 50 et début 60 rompu avec la Quatrième Internationale,
jouèrent un rôle destructif en couvrant le rôle politique traître des staliniens
et des sociaux-démocrates et en canalisant la lutte des masses dans une
politique impuissante de protestation. Dans ce projet, les pablistes
travaillèrent main dans la main avec les organisations de la dite Nouvelle
Gauche, dont les traits caractéristiques sont un dédain pour la classe ouvrière,
l'indifférence à l'égard des leçons de l'histoire, l'hostilité envers le
marxisme et une haine viscérale du trotskysme.
28.
La trahison politique de ces forces avait été incitée par des facteurs
objectifs substantiels, desquels le plus significatif était la position
mondiale encore dominante du capitalisme américain. Le dollar fonctionnait
comme valeur de référence dans l'économie capitaliste mondiale, convertible en
or au taux de 35 $ l'once. Mais politiquement et économiquement, le monde en
2008 est radicalement différent de celui existant il y a 40 ans. Le
principal créancier du monde est devenu la nation la plus endettée. Le
dollar américain, dont la valeur sur les marchés internationaux ne représente
plus qu'une fraction de sa valeur correspondant à la période de Bretton Woods, a
quasiment perdu toute crédibilité en tant que monnaie de réserve mondiale. Son
remplacement par l'euro ou par un « panier » de monnaies internationales, un
développement inévitable, ne ferra que confirmer ce qui est déjà apparent
– que l'ère de la domination globale du capitalisme américain est arrivée à
terme. De plus, les changements technologiques extraordinaires derrière
les processus connus sous le terme de « mondialisation » sont profondément
révolutionnaires dans leurs implications. Les trois dernières décennies ont
été témoins d'une immense expansion mondiale dans les forces de la classe
ouvrière internationale. Sa puissance sociale et sa capacité potentielle à
réorganiser l'économie mondiale sur des bases socialistes – c.-à-d. de la
réorienter consciemment dans le but de mettre fin à la pauvreté et
l'exploitation et de servir les intérêts et les besoins de l'humanité – est plus
grande que dans toutes les périodes historiques précédentes.
29.
Le Parti de l'égalité socialiste, en solidarité politique avec le Comité
international de la Quatrième Internationale, anticipe avec confiance la
réémergence des luttes de la classe ouvrière. Nous sommes convaincus que
la crise objective du système capitaliste va provoquer un soulèvement de la
classe ouvrière américaine et internationale. Mais les soulèvements à venir
ne vont pas automatiquement résoudre les problèmes du développement de
la conscience socialiste.
30.
Comme il a été démontré par les luttes initiales des travailleurs dans les
derniers mois, il demeure un gouffre énorme entre les implications
révolutionnaires objectives de la crise et le
niveau actuel de conscience politique. Les
conditions objectives vont propulser les
travailleurs dans la lutte et créer les conditions
pour un immense bond de la conscience. Mais ce serait une erreur
de sous-estimer le degré de lutte qui doit être menée par le parti pour élever
la conscience politique de la classe ouvrière et surmonter l'influence
réactionnaire des bureaucraties, qui, bien qu'affaiblies, sont encore des
défenseurs dangereux et cruciaux de l'ordre bourgeois. Nous ne pouvons pas
non plus ignorer le rôle joué par la myriade de tendances petites bourgeoises
« radicales » qui cherchent inlassablement à désorienter la classe ouvrière et à
maintenir sa subordination aux sections « progressistes » de la bourgeoisie.
L'influence de toutes ces différentes agences de l'élite dirigeante ne peut être
surmontée que par l'assimilation des expériences stratégiques des luttes
révolutionnaires précédentes et par la compréhension de leurs implications dans
la crise en développement du capitalisme mondial.
31.
Durant l'année 2008, le Parti de l'égalité socialiste va entreprendre une
campagne politique ambitieuse pour étendre son influence au sein de la classe
ouvrière et parmi les jeunes. Cette campagne va inclure :
(a) La participation du PES dans les élections de 2008 avec ses
propres candidats dans le plus grand nombre d'États possible. Le but de
cette campagne va être de développer la conscience
politique de la classe ouvrière et sa compréhension du programme
du socialisme international, de précipiter sa rupture politique avec les
partis de la classe capitaliste, de lutter contre la pauvreté,
l'exploitation et toutes les formes d'inégalité sociale, de construire
une opposition au militarisme et à l'impérialisme américain et de recruter
de nouvelles forces au sein du Parti de l'égalité socialiste.
(b) Le développement, en accord avec nos co-penseurs politiques dans le
Comité international, du World Socialist Web Site. Ceci comprend le
développement d'une nouvelle version du site Web afin d'en améliorer
l'accessibilité pour la lecture et d'utiliser le plus efficacement possible la
technologie moderne du Web. Le WSWS va également introduire des changements
éditoriaux qui vont renforcer son contenu politique, culturel et théorique.
Le but de tous ces changements est d'étendre le lectorat et l'influence
politique du site Web en tant qu'instrument de la pensée et de l'action
socialistes.
(c) L'internationale étudiante pour l'égalité sociale (IEES), le mouvement de la
jeunesse étudiante affilié au PES, va étendre son travail sur les campus des
universités à travers les États-Unis. En étroite collaboration nos co-penseurs
du Comité international, nous allons développer l'IEES en un véritable
mouvement international luttant pour l'unité et la solidarité politique des
jeunes et des travailleurs à travers le monde.
32.
Nous appelons tous les membres du PES à lutter sur la base de la perspective
élaborée dans ce rapport pour étendre le travail du parti en 2008. Au même
moment, le PES appelle tous les lecteurs et supporteurs du World Socialist Web
Site à reconnaître l'urgence de la crise politique et économique du
capitalisme américain et mondial et à se joindre à nous dans la lutte pour le
socialisme.
Samedi 19 Janvier 2008
David North