Un million de mines paralysent le Sud Liban
Six mois après le cessez-le-feu, les sous munitions font entre deux et quatre morts chaque semaine, dont un tiers d’enfants.
Reportage avec les démineurs.
Ne pas couper à travers champs. Ne pas grimper aux arbres. Éviter les jardins et surtout ne rien ramasser, même si cela ressemble à un jouet. Ou à une orange dans une plantation d'oranges. Plus d'un million de «petites bombes» israéliennes restent disséminées dans le Sud Liban, empêchant les agriculteurs de travailler et les enfants de jouer. Depuis six mois pourtant, les démineurs nettoient le territoire mètre après mètre.
Ils sont neuf, à gratter le sol avec une précaution infinie, déplaçant les feuilles et les branchages comme s'il s'agissait d'un trésor ou d'un explosif. Ils constituent l'une des 55 équipes de démineurs coordonnées par les Nations Unies dans le Sud Liban. Autour d'eux, des champs de citronniers et d'orangers parsemés de sous munitions issues des bombes israéliennes. Les visages sont tendus, les gestes précis. Personne n'a droit à l'erreur.
Un engin a été repéré sous terre grâce à un détecteur; les «nettoyeurs» délimitent le périmètre avec un ruban rouge et blanc en attendant que leur chef vienne désamorcer l'objet. La chose, dénommée BLU63, ressemble à une sorte de grosse mandarine brune. Une seule bombe en contient 650.
Chaque équipe, composée de Libanais formés par les ONG, est dirigée par un expatrié expérimenté. Max, ancien de l'armée suédoise, a exercé au Laos avant de venir ici. Cheveux courts, treillis de circonstance et épaules carrées, le jeune homme affiche une fausse décontraction: «Quand on fait ce boulot depuis longtemps, la peur a tendance à s'effacer. C'est là que se produisent les accidents. Je me considère toujours comme un débutant.»
Les mines ont fait 216 victimes depuis le cessez-le-feu, dont trente chez les démineurs. Une civière est posée au bout du chemin, au cas où. «Nous avons de la chance, il y a un hôpital à dix minutes», se réjouit l'ex-soldat. Afin de réduire les risques, de plus en plus de professionnels misent sur une invention suisse, permettant une destruction des explosifs sans manipulation. Berne a déjà envoyé 2000 de ces dispositifs au Liban, et finance une partie des opérations.
Stock périmé
Côté population, la majorité des morts et blessés sont des enfants ou des
adultes ayant tenté de ramasser eux-mêmes les sous munitions. La plupart des
familles de la région vivent en effet de la culture d'agrumes ou de tabac et ne
peuvent plus travailler. «Les gens collectent et entassent les mines dans des
cageots à légumes, c'est extrêmement dangereux», note Gilbert Tekimitri, chef
des opérations de l'UNMACC, l'office des Nations Unies pour le déminage.
La grande majorité de ces bombes ont été larguées durant les trois derniers
jours du conflit. Pour certains, l'armée israélienne a simplement voulu se
départir de ses vieux stocks. Des roquettes périmées depuis plus de trente ans
ont ainsi été retrouvées dans la région. Détériorées, ces armes ont un taux
d'explosion de leurs sous munitions bien inférieur à la normale.
Derrière le port de Tyr, dans les bâtiments et les grandes tentes blanches
estampillées UN, sont placardées des cartes qui pointent l'état d'avancement des
travaux. 9% du territoire a été nettoyé, sur les 34 millions de m2
contaminés. L'ONU espère avoir ratissé la zone d'ici à la fin de l'année.
Fouille méticuleuse et périlleuse. Les mines ont fait 216 victimes depuis le
cessez-le-feu, dont trente chez les démineurs.
Beaucoup d’enfants traumatisés
Certains découpent un gros nuage dans une feuille de carton, d'autres s'affairent autour de boulettes de coton. Un ou deux se concentrent, la plupart crient à tue-tête. Fin septembre, Terre des hommes a ouvert dix centres d'animation pour les jeunes de 6 à 14 ans vivant au Sud Liban. Une bouffée d'oxygène.
Plus que des activités pédagogiques, c'est un défouloir que l'ONG lausannoise offre aux petits libanais. Et un terrain de jeux. «A cause des mines, ces gosses n'ont plus le droit de courir dans la rue ou dans le jardin. Il n'y a qu'ici, dans notre cour, qu'ils puissent se divertir à l'air libre, argue Diala, animatrice du centre d'El Kleile, village situé à quelques kilomètres de Tyr. «A la maison, on rigole moins. Et de toutes façons, nos maisons sont détruites», ajoute la petite Shirin derrière son voile.
A El Kleile, 320 villas ont été démolies et 7 villageois tués par les bombardements israéliens. La grande majorité des 800 familles de la bourgade a fui pendant la guerre.
«Le retour a été un grand choc. Au début, les petits dessinaient énormément de logements en ruine mais peu à peu cela leur a passé, note Diala. Ils évoquent de moins en moins le conflit.»
Terre des hommes organise également des groupes de discussions pour les femmes. Quelques maris, déjà, ont demandé à participer. «La société ici, est très patriarcale, or la plupart des pères, pêcheurs ou agriculteurs, ne peuvent plus exercer leur activité. Il y a tout un travail à effectuer pour rétablir leur statut et reconstruire les familles», note Agnès Belaïd, responsable du programme.
Caroline Stevan - Tribune de Genève
16 février 2007